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Le beaujolais nouveau : in vino veritas.

by • Nov 17, 2016 • LifestyleComments (0)9070

Le mois de novembre marque l’arrivée des 3 plaies de l’hiver : le froid, les décors de noël ET le beaujolais nouveau.

Il est tout de même singulier qu’au pays du bon vin et de la bonne bouffe une piquette jouisse d’une telle célébration. Tous les estancos et bouibouis en tous genres, du PMU crasseux au bar à vin trendy, célèbrent l’avènement de cette vinasse comme si c’était le petit Jésus himself dans des sortes de bacchanales mercantiles. Et nous, trop contents d’avoir encore une occasion de se la coller un soir de semaine, nous plions à ce rituel païen de bonne grâce. Amen. La fameuse soirée de beaujolais nouveau me rappelle toujours un épisode cocasse que je m’en vais vous narrer. (Et la foule d’Effrontés de s’exclamer « Oh ouiiiii Amélie ! Raconte-nous une histoire »).

Je me trouvais à l’époque jeune stagiaire et l’entreprise dans laquelle j’officiai organisa, comme le veut la coutume, une soirée pour le beaujolais nouveau. Tous les éléments d’une bonne soirée d’entreprise étaient représentés : la myriade de commerciaux s’échangeant des cartes de visites comme les enfants des cartes pokémon, le buffet traiteur avec les verrines en plastiques remplies de mousse jaunâtre et le discours trop long dont tout le monde se fout royalement. J’étais alors chargée de tenir le bar (une table de bureau couverte d’une nappe en papier), et l’on m’avait gratifiée du titre d’hôtesse qui impose le port d’une jupe noire et d’une paire d’escarpins. Je passais donc la soirée à emplir les verres du fameux nectar si célébré, entourée de serviettes sales et de pics à brochette usagés. Le tout avec le sourire s’il vous plaît.

Au début des hostilités, chacun se comportait selon les règles mondaines en vigueur. Les convives se vantaient de leur titre honorifique de « biz dev », le nouveau terme à la mode pour désigner l’activité consistant à faire du phoning, les pieds sur le bureau auprès d’une base de donnée achetée chez un annuaire d’entreprise quelconque. Un métier qui consiste donc à se faire envoyer chier 14 fois par jours, un peu comme un vendeur de roses ambulant, en somme. Le costard en plus. Mais assez rapidement, la mascarade pris des airs de soirée Joz. Les hommes à force de s’en jeter un petit derrière la cravate avaient desserré cette dernière et les assistantes marketing riaient trop fort pour être honnêtes. Je débouchai les bouteilles à tour de bras et me trouvai bientôt dans un champ de cadavres, bien planqués derrière la nappe devenue huileuse.

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Mais soudain, catastrophe, nous nous trouvâmes en manque de beaujolais. A s’envoyer du jaja par litrons, ces messieurs-dames avaient sifflé tout le stock. Or personne n’avait encore les lèvres violettes ni une haleine de réacteur au kérosène. On me chargea alors du ravitaillement en me glissant quelques billets et en m’indiquant la supérette la plus proche. Je couru donc perchée sur mes talons jusqu’au commerce de quartier, une épicerie de nuit qui n’en avait strictement rien à carrer du beaujolais nouveau. Je revint de mon expédition avec 2 cubis de kiravi portés à bout de bras. Non, ce n’était pas du beaujolais. Mais qui allait encore s’en soucier ? De toute façon les gougères aux écrevisses n’étaient que de vulgaires crevettes et personne ne s’en était plaint. J’entrepris alors de servir les verres qu’on me tendait avec la vinasse odieuse dont j’avais rempli les bouteilles vides. Ni vu ni connu.

Les convives se mirent alors à se gargariser de cette piquette en lui prêtant des arômes subtils de banane-cerise-la-chatte-à-ta-frangine. Dans ce genre de situation, chacun s’improvise eonologue tout en étant bien incapable de distinguer un grand cru d’une eau de vaisselle. Soyons bien d’accords, je suis moi même loin d’être une experte en vin et je me suis souvent abreuvée de vins bas de gamme durant ma folle jeunesse ou après 3h du mat. Mais voir ces pingoufs admirer la robe d’un vin marque pouce de supérette sous une lumière de réfectoire en le comparant à la cuvée de l’année précédente étaient d’un comique inénarrable. Passé minuit, l’assemblée des pros de la com et du marketing devint beaucoup moins pro. Ça lapait dans tous les coins, du rouge ou des gonzesses. On commençait à fumer aux fenêtres sous les signaux verts de sorties de secours. Instant poésie.

Alors oui, le beaujolais nouveau est un des vins les plus célèbre à travers le monde. Comme Marc Lévi est l’écrivain français le plus traduit. L’hexagone n’exporte pas toujours ce qu’il fait de mieux je vous l’accorde. Les Japonais vont même jusqu’à se baigner dans le beaujolais nouveau, et c’est peut être là le meilleur usage que l’on puisse en faire. Cette horreur a certainement des vertus astringentes. Et avant de vous moquer des asiatiques qui se trempent le fondement dans la vinasse, rappelez-vous que vous mangez des sashimis épais comme des pavés de boeufs et que ce que l’on appelle « saké » n’est souvent qu’un atroce alcool de riz bas de gamme, bien loin de l’élixir originel. Oui, nous aussi, nous passons pour des cons.

Certes, le beaujolais nouveau, mais nous le valons bien.

Sur ce, je m’en vais boire une bonne bière.

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