HENRI LAMY x INTERVIEW by les Effrontés_02

HENRI LAMY x INTERVIEW 10.3 by les Effrontés.

by • Sep 11, 2014 • InterviewComments (0)5093

Le principe de l’interview 10.3 by les effrontés c’est 23 questions et pas une de plus ! Le concept «10.3» est simple: on pose 23 questions dont 10 un brin formelles, 10 plus personnelles en terminant par 3 questions complètement hors contexte qui nous passent par la tête sur le moment.

Ayant la ferme volonté de rapprocher le lecteur de la personne interrogée, et parce que nous sommes tout de même effrontés, ne cherchez pas de signes de vouvoiement dans nos interviews, puisque cette formule de langage s’efforce de construire une barrière entre les deux partis.

Presentation.

Henri Lamy est un peintre figuratif français, né en 1985. Séduit par la spontanéité de l’acrylique, la qualité de son travail est mise en valeur par les couleurs vives et expressives de ses compositions, ainsi que l’utilisation du couteau. Initié très jeune par son père, Henri est un admirateur de Jackson Pollock et du «dripping». Ainsi la toile peut paraître abstraite de près et figurative lorsqu’on s’en éloigne. Il est membre du collectif artistique 59 Rivoli (ancien squat racheté par la ville de Paris, rassemblant plus de 30 artistes), et expose actuellement à Paris, New York, Bangkok, Beijing, Manille et Lyon.

Interview.

Avant d’entamer cette interview, peux-tu te présenter brièvement aux lecteurs de l’Effronté en nous parlant un peu de toi, de ton background et de ton parcours ?

Henri Lamy : Dès mon plus jeune âge, mon père et mon grand-père m’ont appris à tenir un stylo avec lequel j’ai commencé à recopier des personnages de bande dessinée comme Lucky Luke ou ceux Dragon Ball Z. Le dessin, puis par la suite, la peinture, m’ont accompagné tout au long de ma vie… J’ai progressivement appris à écouter mon imagination tout en faisant référence au réel.

01. Revenons un peu dans le passé, qu’est ce qui ta donné l’envie de peindre ?

Henri Lamy : Le dessin provenait principalement d’une incapacité à m’exprimer en société… À l’école, ou en groupe, j’avais tendance à frapper mes petits camarades, ou me mettre dans un coin pour dessiner. Un jour, je suis tout simplement passé à la vitesse supérieure en empruntant la boite de peinture de mon père. J’y ai notamment trouvé un couteau, facile à essuyer, précis dans son empreinte avec lequel j’ai tout naturellement commencé à peindre.

02. Qu’est ce que la peinture représente à tes yeux ?

Henri Lamy : La peinture se mélange. Ses possibilités sont autant de moyens d’exprimer des émotions ou des idées. Ma peinture me correspond, elle est spontanée, énergique, et émotionnelle.  La peinture est un «tout» car elle a cette faculté de pouvoir exprimer ce qui ne peut sortir de moi autrement… La peinture est, à mes yeux, ce que le stylo est à l’écrivain . 

03. Où puises-tu ton inspiration ?

Henri Lamy : Mon inspiration, je la puise dans ma vie de tous les jours. L’inspiration réside dans tout ce qui se trouve autour de moi. Par exemple, lorsque je vais en Thaïlande, je découvre une nouvelle culture et tente de me l’approprier sans pour autant en travestir la réalité et faire croire aux gens que j’en connais chaque détail ! Je montre au public un regard extérieur sur une culture que je découvre. Je tente de rester personnel dans mon travail en faisant dialoguer différents sentiments avec ma propre interprétation des choses. 

04. Pourquoi ne peindre que des visages ?

Henri Lamy : Cette question n’est pas tout à fait correcte, voire incorrecte ! Toutefois je vous l’accorde, le portrait constitue, ou plutôt constituait, le cœur de mon travail… Mais depuis quelques années, il s’est étendu à des scènes, plus révélatrices d’ambiances et d’habitudes de vie des milieux que j’observe. Au départ, j’ai pensé que les émotions se concentraient principalement sur le visage, puis j’ai voulu en dire plus en montrant une route, une végétation ou encore un climat qui sont autant d’éléments qui caractérisent une histoire bien précise sortant de la seule et unique expression du visage ou du regard.

05. Quel sentiment ressens-tu lorsque tu es en train de peindre ?

Henri Lamy : La peinture est essentiellement libératrice. Je ressens un sentiment de liberté m’aidant à exprimer ce que je ressens au plus profond de moi. Parfois, alors que j’étais en train de peindre, je me suis déjà retrouvé en train de pleurer et même trembler. C’est dire à quel point je ressens des sentiments puissants. C’est notamment le cas pour «Supreme Phra Pikanate» (la toile où j’ai représenté Ganesh, le dieu des artistes hindou/thaï que j’ai peint lors de ma résidence à Bangkok).

06. Es-tu un éternel insatisfait lorsque tu regardes tes œuvres ?

Henri Lamy : Oui, car une œuvre explique l’humeur d’un moment précis, souvent proche du dessin et parfois exécutée très rapidement. Mais d’un autre côté, cette spontanéité m’oblige à être sûr de mon trait. Je ne regrette donc rien, mais je suis toujours en train de les regarder, ou de demander l’avis des spectateurs lors des expositions, afin d’en connaitre les atouts et les défauts, pour toujours pouvoir évoluer dans mon travail. En résidence au «100 Charenton» par exemple, je suis toujours à la recherche de points de vue, de nuances de couleurs, d’effets de matière, qui m’autoriseront une plus grande proximité par rapport à mes sentiments. La phase expérimentale est capitale. 

07. Quelle est la place de Jackson Pollock  dans ton histoire personnelle ?

Henri Lamy : A un moment de ma vie, Jackson Pollock a eu une importance particulière puisque j’ai, tout comme lui, jeté de la peinture sur une toile. Avec ma «capoeira painting cage» (voir la vidéo après la question 10) à Montceau-les-Mines (Exposition dans le cadre des journées européennes du patrimoine du 1er au 22 septembre), j’ai notamment réconcilié deux aspects de ma personnalité travaillés depuis l’enfance mais qui n’avaient jusque-là jamais interagis.

08. Quel est ton plus beau souvenir en tant que peintre ?

Henri Lamy : To Ngoc Trang est un peintre que j’ai rencontré à Hanoi, au Vietnam. Sans que nous nous connaissions, il m’a invité chez lui en me faisant partager son quotidien et l’histoire artistique de sa ville pendant quelques jours. Il est l’une des nombreuses rencontres que j’ai effectuées un peu partout dans le monde en quittant mon pays pendant près de quatre années, sans cesse en quête d’inspirations et de rencontres. Constater que la peinture est un réel vecteur de communion entre les cultures et parfois même au-delà de la barrière des langues est une chose formidable qui continue de me faire vibrer au quotidien.

09. Que retires-tu de ta rencontre avec Jimmy Cliff et Joss Stone ?

Henri Lamy: Jimmy Cliff a une aura extraordinaire. On sent vraiment toute son expérience de la musique, des voyages et de la découverte des gens. Ça m’a vraiment impressionné de lui parler, et en même temps, il était tellement simple et ouvert que ma vision de lui en tant que «star» s’est très rapidement dissipée. Après notre rencontre, il a commencé son concert. Je l’ai même vu faire un pas de jinga (le pas de base de la capoeira). J’ai été touché de voir que je me retrouvais aussi dans cet aspect de sa personnalité. Effectivement il a également vécu pendant quelques temps au Brésil. 

Joss Stone est beaucoup plus jeune mais reste une chanteuse et une artiste exceptionnelle. Je lui ai parlé comme à une amie, sans appréhension. Elle était sympathique, pétillante et a chanté pieds nus.

10. Quel message ou recommandation voudrais-tu adresser à tous ceux qui veulent se lancer dans la peinture et vivre de leur art ?

Henri Lamy : Il faut être sûr que la peinture est le bon moyen de dire qui ils sont. Non une fin en soi. La peinture doit nous aider à faire passer un message. Elle doit être personnelle. Ma recette pour vivre de mon art fût ce besoin incontournable d’être un peintre, car c’est ce que j’ai toujours été et c’est ce qui ne pouvait qu’exploser, et ce malgré mes études de communication et de commerce. Elle a su être plus forte que tout… Plus forte que les gens, que leur a priori, que les contingences matérielles et les cultures. C’est la peinture qui m’a tout commandé. Dès lors que je me suis offert à elle et je n’ai eu de cesse de la contenter et de l’écouter car ses désirs se sont fondus aux miens et nos destins se sont entremêlés. Partout et pour tous, je ne suis plus juste moi-même mais une partie de l’expression que je ressens. Mon corps et mon esprit sont ainsi sur chaque continent.

Voici le trailer de la “Capoeira Painting Cage” qu’utilise Henri Lamy.
La production est signée Kiwi Entertainment.

La beauté d’une interview réside dans le fait de pouvoir s’engouffrer dans l’intimité de la personne sans pour autant en dévoiler ses secrets… Passons donc, maintenant, à des questions un chouïa plus personnelles. Nous devons préciser qu’elles se terminent toutes par et pourquoi ? La justification donne parfois du sens à la réponse. Au passage, pas besoin de te justifier sur la question numéro #10, ça ne s’explique pas…

 

01. Dans quelle ville rêverais-tu dhabiter ?

Henri Lamy : Il y a une ville pour la famille. Une ville pour faire la fête. Une autre pour travailler, ainsi qu’une pour se reposer ou alors pour fonder une famille. Je ne sais pas quelle est ma ville. Pour répondre à ta question, j’habite depuis 8 ans à Paris, mais je voyage à peu près la moitié du temps entre l’Amérique ou l’Asie. De plus, mon art a besoin de s’exporter continuellement du fait qu’il est un dialogue entre les humains et qu’il ne connait pas de barrières. 

02. Quelle est la personne, vivante ou disparue, que tu admires ou admirais le plus ?

Henri Lamy : Le sport me guide spirituellement. Pour cette raison j’aime les hommes qui m’ont appris la capoeira dans la rue, en France et au Brésil. La capoeira est si répandue que j’ai retrouvé des adeptes jusqu’en Chine ! Seul, je me suis aussi beaucoup entraîné en repensant aux conseils de mes modèles qui eux-mêmes ont beaucoup voyagé. En d’autres termes, c’est plus un ensemble de personnes que j’admire à l’heure d’aujourd’hui.

Cependant, un de mes plus grands modèles est aussi mon père. Il a beaucoup risqué pour créer. Un roman appelé «la guerre du fou» (auquel je consacrais une exposition à Nanjing) ou un film appelé «La Désœuvre» (exposition à Paris), ont donné lieu à des travaux ou mon travail s’imbrique dans le sien, comme la renaissance de ses rêves déchus.

03. Quelle est ta plus grande peur ?

Henri Lamy : J’ai peur de ne plus être capable de me servir de mon corps. Mon esprit est important, mais je communique aussi beaucoup avec mon corps. 

04. Enfant, tu rêvais d’être ?

Henri Lamy : Enfant, je rêvais d’être grand. J’étais triste de ne pas vraiment comprendre les codes sociaux. L’art était comme un fardeau que je développais dans mon coin, sans l’aide de personne, car étant souvent trop fier pour accepter les conseils. L’apprentissage fût très long, et un jour, j’ai grandi en m’acceptant dans cette identité spécifique qui me mettait trop à l’écart dans mon jeune âge.

05. Si tu avais le pouvoir de changer une seule chose, quelle serait-elle ?

Henri Lamy : J’aimerai que les gens soient plus spontanés. Qu’on arrive tous à faire ce que l’on veut, accepter qui l’on est. Trop souvent, je vois des gens qui se torturent ou se font la guerre, lorsque la cause semble en fait si simple.

06. Si Dieu existe, qu’aimerais-tu, après ta mort, l’entendre te dire ?

Henri Lamy: J’aimerai qu’il me fasse comprendre ce que j’ai loupé durant ma vie. Mes défaites, qu’il m’explique pourquoi elles ont eu lieu. Mes disputes, quelles étaient leur sens ? Il y a aussi un livre que j’ai lu récemment où l’auteur rencontre les cinq personnes, au paradis, qui vont lui permettre de comprendre le vrai sens de sa vie. Mon idée de dieu est similaire.

07. Quelle est ton idée du bonheur?

Henri Lamy : Le bonheur est simple. Il est un mélange d’efforts et de récompenses. Notre but à tous étant de grandir. 

08. Quel est ton motto/devise dans la vie ?

Henri Lamy : Tu as le droit d’être qui tu es et faire ce que tu fais.

09. Quel est ton passe-temps préféré ?

Henri Lamy : Mon métier.

10. L’Effronté t’offre l’apéro, qu’est-ce que je te sers ?

Henri Lamy : De l’eau, naturelle, elle me purifie. De plus, je ne bois que très peu d’alcool, surtout pour faire plaisir à mes amis.

 

Passons maintenant aux questions XX.3, les questions qui sortent des conventions… Ne cherchez pas à comprendre pourquoi nous posons spécifiquement ces questions puisqu’elles nous passent simplement par la tête au moment où nous écrivons ces lignes.

 

01. On te laisse le choix de prendre la direction de n’importe quel musée, lequel choisis-tu ?

Henri Lamy : J’aime beaucoup le musée du Quai Branly ! Il nous apprend le pouvoir de nos civilisations passées et combien elles ont inspirés nos vies actuelles. Les cultures primaires ont aussi un aspect très touchant rendu possible par la densité des expositions présentées.

02. A la suite d’une épidémie bactériologique sans précédent, la résine acrylique ou polymère est maintenant introuvable. Ne pouvant plus utiliser de peinture acrylique pour la réalisation de tes œuvres, vers quelle autre substance te tournes-tu ?

Henri Lamy : Aucune importance, je continuerai d’expérimenter. Ma méthode sera sans doute simpliste. Peut-être que je chercherai la facilité et me tournerai vers le produits du quotidien comme les encres, les feutres ou autres colorants naturels tels que les différentes denrées alimentaires ou plantes.

03. Il ne te reste plus que 2 minutes à vivre et l’humanité toute entière est à ton écoute, quel message voudrais-tu faire faire passer ?

Henri Lamy: Nous sommes un tout. Si je ne te comprend pas, c’est une partie de moi même que j’ai du négliger. Si je te fais du mal c’est moi même que je blesse. Je tenterai de t’aider à grandir pour me sentir évoluer moi même, dans la peinture, dans l’altérité, dans la vie.

 

Cet entretien est maintenant terminé. Nous remercions Henri Lamy pour le temps qu’il a consenti à accorder à des jeunes effrontés dans notre genre. Nous mettons en avant ces femmes et ces hommes qui cherchent à vaincre la morosité ambiante en apportant leur talent, leur compétence et aussi ce petit grain de folie.

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