JEAN-CHRISTOPHE ANSANAY x INTERVIEW 10.3 by les Effrontés.

by • Oct 30, 2014 • InterviewComments (0)4883

Le principe de l’interview 10.3 by les effrontés c’est 23 questions et pas une de plus ! Le concept «10.3» est simple: on pose 23 questions dont 10 un brin formelles, 10 plus personnelles en terminant par 3 questions complètement hors contexte qui nous passent par la tête sur le moment.

Ayant la ferme volonté de rapprocher le lecteur de la personne interrogée, et parce que nous sommes tout de même effrontés, ne cherchez pas de signes de vouvoiement dans nos interviews, puisque cette formule de langage s’efforce de construire une barrière entre les deux partis.

Présentation.

Jean-Christophe Ansanay-Alex est Chef et propriétaire du Relais & Châteaux “l’Auberge de l’île Barbe” dans le neuvième arrondissement de Lyon. Outre le cadre enchanteur qu’offre cette île de verdure au milieu de la Saône, l’Auberge est une étape gastronomique incontournable puisqu’elle est également membre des Grandes Tables du Monde et récompensée d’une étoile dans le précieux Guide Michelin. Notre Chef qui passe au grill aujourd’hui est un homme plein d’humour et de paradoxes qui aime recevoir. Lorsque nous lui avons présenté notre webzine afin d’obtenir un entretien avec lui, ce n’est pas sans un rire pincé qu’il nous a dit “vous vous prenez pour Emmanuel de Brantes ?” avant de conclure dans un large sourire “Allez vous me faites marrer les merdeux, posez-moi vos questions qu’on rigole un peu !”

Interview.

Avant d’entamer cette interview, peux-tu te présenter brièvement aux lecteurs de l’Effronté en nous parlant un peu de toi, de ton background et de ton parcours ?

Jean-Christophe Ansanay : Je m’appelle Jean-Christophe Ansanay-Alex et exerce le beau métier de Chef cuisinier. Je suis un vrai Lyonnais depuis ma naissance mais j’ai travaillé dans différents établissements en France et à l’étranger. Après mes études à la grande école hôtelière de Thonon-les-Bains, j’ai effectué différentes expériences dans des grandes maison, je suis aujourd’hui Chef et propriétaire d’un restaurant membre des grandes tables du monde et récompensé d’une étoile au Guide Michelin.

01. Après tes études à Thonon, quel fut le premier restaurant dans lequel tu as travaillé ? 

JC Ansanay : Je suis revenu à Lyon immédiatement après mes études pour travailler chez Pierre Orsi qui était et est toujours une grande maison lyonnaise, Relais & Châteaux et également étoilé dans le célèbre Guide. C’est après que j’ai décidé d’aller voir un peu ailleurs si j’y étais.

02. Je sais que tu as travaillé pour le compte de Cristina Onasis, fille du célèbre milliardaire grec Artistote Onasis. Quelle fut l’anecdote la plus incroyable que tu aies vécu ? 

JC Ansanay : On parle tout le temps des photos de Cristina Onasis sur son yacht, le célèbre « Cristina O ». C’est amusant car Madame détestait le bateau et la mer. Ce yacht ne nous servait qu’à amuser les invités et les propriétaires de jet-ski. J’ai des tas d’anecdotes à raconter àpropos de cette aventure qui fut incroyable. Mais l’épisode des asperges illustre sans doute le mieux le faste et le côté déconnecté des immenses fortunes de l’époque.

Mon deuxième jour, le Chef que je remplaçais venait de partir se promener et je me retrouvais donc seul aux commandes de la cuisine pour la matinée. Ce soir là, Madame Onasis recevait des invités prestigieux et un menu très précis et de grande qualité était calé depuis un bon moment. En milieu de matinée, Madame rentre dans ma cuisine et demande à changer de menu, incluant des asperges vertes… Mettez vous dans le contexte, je débute avec Madame Onasis, nous sommes le matin, je ne connais pas encore très bien le fonctionnement de la maison, ni même les fournisseurs et surtout nous sommes sur un bateau sur le Lac Léman. Pas question de ne pas satisfaire le désir de Madame, j’appelle donc le Chef qui me recommande d’aller à Genève pour en trouver. Comme ce n’était pas du tout la saison des asperges vertes, les fournisseurs genevois n’avaient rien à me proposer, si ce n’est de téléphoner chez Fauchon, à Paris. Bête et discipliné, je téléphone immédiatement chez Fauchon qui me conforme avoir mes fameuses asperges vertes, pour la modique somme de 500 francs le kilo. Concrètement, c’est à peu près comme 500€ d’aujourd’hui… Comme tout homme normalement constitué, je refuse catégoriquement de payer cette somme là, raccroche puis rappelle mon Chef pour lui parler de l’absurdité du prix. Celui-ci m’engueule et me dit qu’on en achète 5 kilos. Je passe donc la commande chez Fauchon, avec obligation d’avoir les fameuses asperges maximum trois heures plus tard pour pouvoir préparer le dîner. Les asperges sont donc parties en taxi pour le Bourget, d’où notre pilote faisait déjà chauffer le jet privé de Madame Onasis. Le jet s’est posé 1h plus tard à Genève, d’où la limousine récupéra les asperges vertes et roula jusqu’au yacht…Tout fut prêt dans les temps et Madame eut ses asperges comme demandé.

03. En 2002 tu gagnes ta 2ème étoile. Quel fut ton premier sentiment ? 

JC Ansanay : Tout bêtement: « C’est chouette ! ». Il faut dire que la période était particulièrement heureuse puisque mon fils est né à peu près au même moment, avec évidemment une émotion supplémentaire… C’est une belle satisfaction mais je pense que c’est la 3ème qui procure le plus gros frisson. Enfin je pense…malheureusement je n’en sais rien encore ! (sourire)

04. Que représentent ces fameuses étoiles du Guide Michelin pour un grand Chef comme toi ?

JC Ansanay : Pour moi on peut les hiérarchiser comme ceci: La 1ère est la reconnaissance des clients, la 2ème de la profession, la 3ème, la reconnaissance utlime, avec une combinaison des deux. Les étoiles sont toujours une référence mais de plus en plus de Chefs veulent faire un peu différemment. L’étoile qu’on m’accorde aujourd’hui est toujours une grande fierté mais je veux bouleverser mon établissement dans les 6 prochains mois. N’ayant aujourd’hui plus qu’une étoile, je veux faire quelque chose de décomplexé comme dirait Jean-François Copé (rire sarcastique) qui vaudra au moins 2 étoiles si ce n’est 3, sans le titre évidemment.

05. Les Chefs sont devenus des stars de la télévision aujourd’hui. As-tu déjà été jury d’un concours télévisé ? 

JC Ansanay : Oui J’ai été jury mais pas en France. En fait, je trouve que les émissions culinaires françaises ne sont que des guignoleries pour prendre un gros chèque. J’ai assez de boulot sur mon restaurant et sur mes autres activités pour ne pas avoir besoin de tomber dans de la Star Academy. Lorsque j’étais Chef d’un restaurant gastronomique que j’avais monté à Londres, j’ai été jury sur des manifestations chics comme Master Chef England, avec tout le monde en Smocking. Les mets qui nous étaient présentés pour être dégustés puis jugés étaient en compétition pour l’élection du Chef de l’année en Angleterre. Nous passions en primetime sur BBC1 le dimanche. Autant te dire qu’on était sur du très gros niveau.

06. Quel est le plat que tu préfères cuisiner ? 

JC Ansanay : Les gonzesses, indiscutablement.

07. Quels sont les chefs que tu admires le plus ?

JC Ansanay : Je ne peux pas commencer cette liste sans citer Paul Bocuse. Tu me parlais tout à l’heure de la stratification des Chefs mais à ses débuts, Monsieur Paul disait qu’il était garagiste car cuisinier faisait vraiment trop plouc. Si aujourd’hui notre métier est devenu populaire, suscite des vocations et devient même glamour, c’est grâce à lui.

Il y’a aussi des Chefs moins connus mais tout aussi talentueux comme Bernard Pacaud, de l’Ambroisie (3 étoiles), pour sa simplicité autant dans la vie que dans sa cuisine. Le Chef Didier Clément (1 étoile) qui m’a fait voir la cuisine différemment, provoquant chez moi un vrai déclic. Il y’a aussi mon copain Jean Georges à New York, qui ouvre à l’heure où l’on parle son 41ème restaurant…Pas besoin de te faire un dessin sur la différence entre les Etats-Unis et la France sur le business de la gastronomie.

Et puis bien sûr mon père qui m’a transmis l’Auberge de l’île et appris à gérer une petite entreprise.

08. A ce propos, que t’a dit ton père au moment de reprendre le restaurant ?

JC Ansanay : Il m’a fait promettre de ne pas la vendre pour des raisons purement commerciales et surtout de prendre soin de ma mère.

09. Quel est le pire service dont tu te souviennes ? 

JC Ansanay : Sans aucun doute le service déclancheur de la perte de la 2ème étoile…et le pire est que j’étais pas là! Les raisons sont multiples et ont été combinées ce midi là. Le midi en début de semaine, le restaurant n’est pas plein, si bien que l’équipe en a oublié qu’elle était dans un grand restaurant. De fait, la responsable était entrain de faire du rangement dans la cave au lieu de gérer sa salle et son personnel, pendant que les commis étaient entrain de chahuter en cuisine…Autant te dire que pas pro, pas au niveau. Nul besoin de te préciser que tout ce beau monde a été remplacé par des gens bien plus professionnels et nos services sont désormais d’une qualité nettement supérieure.

10. Quelle est la personnalité pour laquelle tu es le plus fier d’avoir cuisiné ?

JC Ansanay : Tu sais, j’ai eu des tas de gens célèbres qui sont passés entre mes griffes !! Récemment, j’ai même eu le prochain candidat démocrate à la Maison Blanche, j’ai eu une bonne trentaine de ministres, des acteurs et même Pédro Almodovàr il y’a 2 semaines !

Je suis fier de cuisiner tous les jours pour mes clients, c’est une évidence. Mais celui qui m’a le plus marqué était en fait un petit garçon américain de 7 ou 8 ans qui venait de temps en temps à l’Auberge de l’île avec ses parents. Il poussait ses parents à prendre le menu dégustation et parlait de ma cuisine avec une simplicité qui me convenait tout à fait… c’était émouvant.

Ma mère aussi, elle a toujours un œil ultra critique, surtout sur son fils ! Si elle me dit que c’est correct, c’est que déjà on est high level…(rires)

La beauté d’une interview réside dans le fait de pouvoir s’engouffrer dans l’intimité de la personne sans pour autant en dévoiler ses secrets… Passons donc, maintenant, à des questions un chouïa plus personnelles. Nous devons préciser qu’elles se terminent toutes par et pourquoi ? La justification donne parfois du sens à la réponse. Au passage, pas besoin de te justifier sur la question numéro #10, ça ne s’explique pas…

 

01. Dans quelle ville rêverais-tu d’habituer ?

JC Ansanay : Toujours sur mon île Barbe, à une autre époque… mais avec un pied à terre à Londres, de préférence à Notthing Hill, un autre à Los Angeles, et ça suffira !

02. Quelle est la personne, vivante ou disparue, que tu admires ou admirais le plus ?

JC Ansanay : La reine d’Angleterre, Gandhi, le pape. « je le trouve bonnard le Francesco ».

03. Quelle est ta plus grande peur ?

JC Ansanay : Les problèmes familiaux

04. Enfant, tu rêvais d’être ?

JC Ansanay : Un super-héros

05. Si tu avais le pouvoir de changer une seule chose, quelle serait-elle ?

JC Ansanay : La valeur de l’argent. On a un mauvais étalonnage de l’argent par rapport aux produits. Je préfère la période du troc. Un boulanger qui fait du pain travaille au moins autant qu’un type qui bosse dans une compagnie d’assurances.

06. Si Dieu existe, qu’aimerais-tu, après ta mort, l’entendre te dire ?

JC Ansanay : “Les cuisines sont là bas au fond, y’a tout le matos.” Et si j’ai bien cuisiné, qu’il m’offre une bonne bouteille de champagne et une belle jeune fille.

07. Quelle est ton idée du bonheur ?

JC Ansanay : Vivre avec passion…mais tout est une question d’équilibre. Je crois davantage aux énergies qu’en Dieu. Je pense que tout est binaire.

08. Quel est ton motto/devise dans la vie ?

JC Ansanay : Vivre l’instant présent.

09. Quel est ton passe-temps préféré ?

JC Ansanay : Refléchir… àplein de choses.

10. L’Effronté t’offre l’apéro, qu’est ce que je te sers ?

JC Ansanay : Un Malte d’Ecosse que je ne connais pas encore…ca va être dur !

 

Passons maintenant aux questions XX.3, les questions qui sortent des conventions… Ne cherchez pas à comprendre pourquoi nous posons spécifiquement ces questions puisqu’elles nous passent simplement par la tête au moment ou nous écrivons ces lignes.

 

01. Tu as été victime d’un grave accident qui t’a privé de l’usage d’un bras. As-tu pensé que le métier de cuisinier était terminé ?  

JC Ansanay : Pas du tout ! Je me suis dit « On va envoyer la gomme ». Le lendemain de l’accident, une gonzesse charmante comme tout est venue m’expliquer que j’avais perdu l’usage du bras. J’ai dit « On verra plus tard ».

02. Tu es considéré comme un Grand Chef. La cuisine est-elle suffisamment une passion pour imaginer que tu puisses travailler dans une cantine scolaire par exemple ? 

JC Ansanay : Quand j’étais chez les Maristes, ils étaient catastrophés que je fasse de la cuisine car j’étais bon élève. Mais ce n’est pas ce qui m’intéressait. Je suis rentré à l’école hôtelière en étant 1er au concours d’entrée et en étant le plus jeune. Ce qui m’intéresse donc est d’aller au fond des choses. Si j’avais voulu une vie familiale stable j’aurai pu bosser que le midi dans une cantine et faire de la tambouille, mais je ne peux travailler que pour atteindre l’excellence…

03. Tu as encore de belles années devant toi avant de penser à la retraite. Qu’est ce qui pourrait te faire arrêter aujourd’hui ? 

JC Ansanay : 2 solutions… Soit je suis satisfait de mon travail et j’en ai suffisamment de côté pour être peinard. Soit je reste actif mais tranquille et à 62 ans je mets une chemise blanche, je bronze en prenant l’apéro avec les potes. Cela aurait pu venir à cause d’une femme, mais malheureusement il y’a peu de risque. Pour me tordre il faut y’aller…

 

Cet entretien est maintenant terminé. Nous remercions Jean-Christophe Ansanay pour le temps qu’il a consenti à accorder à des jeunes effrontés de notre genre. Nous mettons en avant ces femmes et ces hommes qui cherchent à vaincre la morosité ambiante en apportant leur talent, leur compétence et aussi ce petit grain de folie.

 

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